Des tous les discours savants,
l´ethnologique est celui plus proche de la fiction (Roland Barthes)
Nous proposons de faire dialoguer
l´écrivain brésilien Mário de Andrade et l´éthnologue haïtien Jean Price- Mars.
Tous les deux ont été des chefs de file
d´un important mouvement intellectuel et culturel respectivement au
Brésil et en Haïti. Tous les deux ont publié, en 1928, une œuvre qui a
révolutionné la pensée de
l´époque. Macunaíma et Ainsi parla l´Oncle sont devenus des poto mitan de la culture brésilienne et
haìtienne au point d´en devenir l´expression même. Tous
les deux ont contribué au développement des sciences humaines et sociales par
la recherche ethnographique et la mise en place des organismes d´appui et de
divulgation de la culture populaire de leurs pays.
Aux années 20-30, Mario de Andrade est
l´un des maîtres à penser et homme d´action du Modernisme brésilien, mouvement
artistique et littéraire créateur d´un art et d´une littérature brésilienne
moderne. Jean Price-Mars, quant à lui, sera considéré le prédécesseur de
l´Indigéniste haïtien, exerçant influence sur le roman paysan des années 30 e
40, et de la Négritude, menée par Aimé Césaire et Léon Gontran-Damas. Tous les
deux avaient un projet de nation, d´une identité nationale à créer par
l´incorporation de la culture populaire. Chez les deux, la pratique de l´ethnographie serait mise au service de la
constitution du contenu et de la forme de l´identité culturelle et de la
littérature nationales.
Tout en réunissant ces coïncidences, ces
hasards ou ces synchronismes, nous voulons interroger leurs parcours afin de
mieux mesurer leur importance dans l´élaboration d´une pensée critique
nationale et de l´invention de la nation. Dans le cadre de ce colloque, le
rencontre entre Mário et Price-Mars élargit notre perspective sur le thème suscitée - la construction de la
nation - à une époque où cette question était au centre de la production
artistique, littéraire et intellectuelle.
Aux années 20, les pays sortis du
système colonial et de l´économie esclavagiste, et rentrés de force dans le
nouvel ordre mondial du libéralisme économique et du capitalisme
industriel, s´interrogent sur leur devenir
de nation et de peuple. Le Brésil voit se constituer une
intelligentsia, une classe intellectuelle dont les ouvrages proposent des
projets de modernisation du pays. Une série d´"Interprètes du Brésil"
dont Oliveira Vianna, juriste, historien et ethnologue influent à l´époque.
Préoccupé par la formation du peuple brésilien, il suggérait dans son oeuvre
l´incorporation du noir par le métissage [caldeamento].
Au
moment de constitution de la nation (selon la formule européenne), les
diversités et les inégalités régionales dans un pays continental et la
population métisée et hétéroclite posaient des écueils au projet d´une Nation
voulant boiter le pas de l´Europe. Aux années 20 on assiste au début du
renversement de la théorie de la dégénerescence de la race blanche par le
métissage, promue par Nina Rodrigues au XIXème siècle et par Oliveira Viana aux
début du XXème siècle. C´est le début de la construction de "idéologie du métissage", de l´incorporation du Noir par la
valorisation du métissage. Celui-ci serait l´élément constitutif du
"peuple brésilien" et de sa culture.
Mário
de Andrade a eu le mérite d´intégrer les trois éléments de la formation du
peuple brésilien, de les intégrer d´une façon créatrice et critique, signalant
un processus de formation ouvert et dynamique. Mario de Andrade et Oswald de
Andrade appartenaient à un groupe d´artistes et d´écrivains qui avait le projet
d´actualiser l´intelligence artistique brésilienne, de créer un conscience
créatrice nationale par la recherche esthétique et par la connaissance du
Brésil "profond", "primitif". En tant qu´écrivains et
intellectuels appartenant à l´élite de São Paulo, au courant de ce qui se
passait en Europe, il s´agisait de combiner "la forêt et la ville";
l´homme cultivé et l´homme primitif. Le primitiviste etant à la mode aux années
20, mise en avant par les avant-gardes européennes, la phase avant-gardiste du
Modernisme le revendiquait. Le manifeste Pau-Brésil, publié en 1924 par
Oswald lance la revendication du primitivisme. En 1928, la même année de
parution de Macunaíma, Oswald offre le provocateur manifeste Anthopophage
où il propose un art et une esthétique brésiliens fondés sur la dévoration de
l´Autre; son incorporation dans la création du peuple et de la culture
brésilienne.
Métis,
ou - d´après son poème Improviso do Mal
da América [Improvisation sur le Mal de l´Amérique]-, un blanc dont l´âme est criblée de races, un poète portant une robe arlequinal, ou encore un indien
tupi jouant du luth, Mário de Andrade est né en 1893 et mort en 1945 à
la ville de São Paulo. Professeur
d´Histoire de l´art et de Musique au
Conservatório Dramático e Musical de São Paulo, musicologue, il fait sa
formation en Lettres, en Philosophie et en Musique. Il écrit de la poésie, des
romans, des contes; est professeur de musique; collabore avec des journaux et
des revues comme chroniqueur et critique d´art. En 1917 il publie un recueil de
poésie Uma gota de sangue em cada poema
[Une goutte de sang dans chaque poème] et participe à l´exposition de peinture
polémique d´Anita Malfatti ; en 1922, il participe à la Semana de Arte
moderna de São Paulo et publie le recueil Paulicéia
Desvairada ; en 1923, publie le livre de poétique moderniste A escrava que não é Isaura [L´esclave
qui n´est pas Isaura]; en 1926, le Clã do
Jabuti [Le Clan du Jabuti] qui, à l´instar de Macunaima et de Remate de
Males [1930] est une oeuvre poétique imprégnée par ses recherches
ethnographiques où il fond la recherche de soi-même et celle du pays.
En 1927 Mário entreprend un premier voyage
ethnographique au Nord du Brésil, suivi d´un deuxième au Nord-est brésilien.
C´est au terme de ses voyages que Mário accouche de Macunaíma, devenu une espèce de mythe fondateur, d'épopée
"tupiniquim" de la nation brésilienne. En 1926, il fait la lecture de
l'oeuvre Vom Roroima zum Orinoco (Do
Roraima ao Orenoco) du voyageur allemand Theodor Koch-Grünberg, publiée en
cinq volumes entre 1916 e 1924. Mário déclare avoir trouvé Macunaima, le héros
de notre peuple dans ce livre. Les voyages et la lecture sont à l'origine de Macunaíma et de Ensaio sobre a Música
Brasileira [Essai sur la musique brésilienne, 1927].
En 1935, il devient Chef de la Divisão de Expansão Cultural; en 1936,
Chef du Département de Culture de la ville de São Paulo et, en 1939, il crée la
Société d'Ethnologie et de Folklore. Il devient un des mentors du Mouvement
moderniste dans sa phase héroïque, anthropophage
et avant-gardiste, et de la deuxième phase marquée par le nationalisme
esthétique et pittoresque, par l'utilisation du folklore. La poésie de Clã do Jabuti, le roman Macunaíma et l'essai, Ensaio sobre a Música Brasileira sont
mis au service de la création d´une identité culturelle et artistique
brésiliennes.
Historiquement le rapport entre
littérature et ethnologie remonte à la "découverte du Nouveau monde”. Son
avènement se rattache à la mise en contact des cultures européennes,
orientales, africaines et amérindiennes par la colonisation et l´esclavage. Cette rencontre inouïe a
suscité nombreux écrits essayant de nommer les nouveaux territoires et
populations rencontrés.
L´avènement des Etats-nations et du nationalisme, au XIX siècle, lui a
fourni un cadre. L´ethnographie devient source et ressource aux projets de construction
des identités nationales, qui se sont nourris des écrits des voyageurs, des
missionnaires, des fonctionnaires ou des visitants illustres européens ayant
parcouru les colonies pour inventorier la nouvelle faune et flore, pour
cartographier le nouveau monde afin de s´en approprier et d´en constituer des savoirs. Souvent ces
voyageurs étaient sources d´informations aux gouvernements coloniaux.
Dans le cas du Brésil, nous pouvons
citer L´Histoire d´un voyage faict en la
terre du Brésil de 1578 de Jean de Léry, commenté par Claude Lévi-Strauss
dans Tristes tropiques publié em
1955, et Véritable histoire et
description d'un pays habité par des hommes sauvages, nus, féroces et
anthropophages: situé dans le Nouveau monde nommé Amérique, avant et depuis la
naissance de Jésus-Christ, jusqu'à l'année dernière écrit par l´aventurier
allemand Johann von Staden, publié par A. Bertrand en 1837. Hans Staden, lors
de son deuxième voyage au Brésil, s´est fait prisonnier des Tupinambás, mais
réussit à se sauver du banquet anthropophage que la tribu préparait durant
lequel il serait dévoré. Son livre a nourri l´Anthropophagie d'Oswald de Andrade. Nous avons encore Le Brésil, ou Histoire, mœurs, usages et
coutumes des habitans de ce royaume, publié à Paris en 1822 et Scènes de la Nature sous les Tropiques, de
1824 d´André Thévet,
cartographe du roi Henri II. L´oeuvre de Jean de Léry est à l´origine du mythe du bon
sauvage de l´Amérique présent chez Chateaubriand et Rousseau, et de l´essai Des Cannibales, de Montaigne. Au Brésil,
ce mythe devient fondateur de la nation.
Le courant indigéniste du romantisme
brésilien, représenté par l´écrivain José de Alencar, construit la phase
généalogique et cartographique de la littérature brésilienne où s´élabore une
invention de l´espace brésilien. Ses romans indigénistes Iracema, O Guarani et Ubirajara mettent en valeur l´amérindien idéalisé,
mythifié. Iracema - la vierge aux lèvres de miel - en est
paradigmatique. Sa fable raconte la rencontre entre un Blanc, portugais, et une
Amérindienne dont l´amour engendrera un enfant, Moacir, le fils de la douleur.
Le contexte historique du Romantisme brésilien est la période coloniale
esclavagiste. À cette époque,
l´indien, assimilé au mythe du bon sauvage, deviendra l´ancestral du brésilien.
La période romantique témoigne déjà de la quête d´un langage qui exprimerait la
terre natale, écartelée entre l´Europe civilisée et l´Amérique sauvage; entre
la Civilisation et la Barbarie ou le Primitivisme. Dans cette période, l´indien
était assimilié à la nature, à la terre de sorte que l´identité du pays serait
associée également à l´espace géographique.
Le Brésil des années 20, était à peine
sorti de l´esclavage et débutait son histoire de nation souveraine dans le
concert des nations, vivant le passage
d´une économie esclavagiste à une économie libérale moderne. La question
“qui sommes-nous”? résonnait à un moment où la ex-colonie se mirait comme
nation ayant une identité de peuple et culturel propre. Epreuve difficile, vu
que le Brésil avait une population noire nombreuse à peine sortie de
l´esclavage, et toute une population métissée dans la chaudière de la société
coloniale. La pensée raciste - le darwinisme social, l´évolutionisme - et
l´héritage colonial y posaient des écueils. La population “brésilienne” était
perçu comme un “ramassis” de populations noires, amérindiennes, métisses et
blanches venues de tous côtés, pas encore amalgamées. Le tâche qui s'imposait
était alors celle de faire de ces populations diverses un peuple, dans le cas
“brésilien”.
Comment penser une identité culturelle
face à une telle diversité et disparités ? Devant le racisme et
l´ethnocentrisme? Devant un système économique et social fondé sur le
servilisme, la domesticité? L´ethnographie, comme science du peuple [ethno +
graphie], ouvre le chemin aux écrivains et intellectuels engagés dans cette
invention. Par le biais du folklore, compris comme savoir du peuple, celui-ci
fait irruption sur la scène de l´Ecriture, donc de l´Histoire, donc de la
Culture, celle-ci assimilée à la Civilisation.
Ecoutons Price-Mars:
Dans
un sens large, on peut dire qu'il [le folk-lore] occupe dans l'histoire d'un
peuple une position correspondant exactement à celle que la fameuse loi non
écrite occupe au regard de la loi codifiée et on peu la définir comme une
histoire non-écrite. […] On peut dire que le folk-lore englobe toute la
« culture » du peuple qui n'a pas été employée dans la religion
officielle ou dans l'histoire de la civilisation […] (Ainsi parla l'oncle)
Le folklore serait ainsi l'histoire non écrite d'un peuple,l'âme du peuple, l'extériorisation du moi collectif où l'on trouve les matériaux de
son unité spirituelle. Elle devrait
être la matéria prima de la
construction de l´expression d´une identité culturelle nationale. L'Europe,
ayant surdéterminé l'identité des pays colonisés, dont le résultat étaient l´âme d'emprunt, le bovarysme culturel, il fallait s'inventer une tradition, une
histoire, une culture en incorporant la tradition populaire à l´écriture. Dans
le travail de l'ethnographe et de l'ethnologue, le geste qui met à distance la tradition vécue pour en faire l'objet
d'étude d'un savoir est indissociable du destin de l'écriture. (Michel de
Certeau, L'écriture de l'histoire).
Le folkloriste, l´ethnographe finissent ainsi par assumer le rôle de mythologue
et d´historien.
Ecoutons encore une fois l´Oncle,
[…] rien ne saura empêcher que contes,
légendes, chansons venus de loin ou créés, transformés par nous, soient une
partie de nous-mêmes, à nous-mêmes révélée comme une extériorisation de notre
moi collectif […]
[…] rien ne peut enfin empêcher qu'à
l'époque de transition et d'incertitude que nous vivons en ce moment, ces mêmes
éléments impondérables ne soient le miroir qui reflète le plus fidèlement le
visage inquiet de la nation. Ils constituent d'une façon inattendue et
ahurissante les matériaux de notre unité spirituelle.
[…] il faudrait que la matière de nos
oeuvres fut tirée quelquefois de cette immense réserve qu'est notre folk-lore,
où se condensent depuis des siècles les motifs de nos volitions, où s'élaborent
les éléments de notre sensibilité, où s'édifie la trame de notre caractère de
peuple, notre âme nationale.
Ces paroles tirées d´Ainsi parla l´Oncle ponctuent, en Haïti, l´irruption sur la scène sociale,
intellectuelle et culturelle du « peuple haïtien » ; le
début d´une valorisation du vaudou,
de la langue créole et de la tradition orale haïtienne; le début d´une
production littéraire originale créée par l'appropriation de l´espace et de l´imaginaire populaire
haïtien (JONASSAINT, 2012. Le but de l´Oncle
était celui d´étudier la valeur du
folklore haïtien sous la forme de conférences de vulgarisation. Dans la
préface au livre, il avoue, de façon ironique, que les premiers chapitres,
portant le nom du titre et consacrés au folklore, ne sont que des amorces au public amateur de frivolités et de bagatelles. À ce qui suit, il réserve
le cadre d'une monographie, soit d´une étude scientifique - celui de relever aux
yeux du peuple haïtien la valeur de son folk-lore et d'intégrer la pensée populaire haïtienne dans la discipline de
l'ethnographie traditionelle.
Price-Mars voulait soumettre la pensée
populaire haïtienne au travail scientifique dont les paramètres étaient ceux de
l'ethnographie traditionnelle, fondée sur l´opposition entre deux systèmes:
celui de l´oralité et celui de l'écrit. Le travail de l´ethnologue serait celui d'intégrer
l'oralité à l'écrit; le mythe à la science; la superstition à la raison; la
"pensée primitive" à la "pensée civilisée". Il affirme la
nécessité de passer sous le crible de l´etude scientifique les croyances
populaires. Il y a ainsi une incorporation de la tradition orale à l´écriture
et au discours scientifique; l´histoire non-écrite incorporée à l´histoire écrite par le biais du
personnage de la tradition orale. Le titre Ainsi
parla l´Oncle renvoie à la tradition orale des Contes de Bouqui et Malice. Toujours ensemble, le premier
représentant la sottise, le second la ruse. Nous pouvons dire que Malice est un
frère lointain de Macunaíma, genre de personnages trickster de la tradition
orale se caractérisant par la malice, la ruse, la débrouillardise, la
sensualité. Observons que Price-Mars cherche à valoriser Bouqui au détriment de
Malice, au contraire de Mário de Andrade qui fait d´un personnage trickster le
héros du peuple. L´intention de Price-Mars semble être celle de valoriser ce
que représente l´Oncle Bouqui, le nèg
bossal, par opposition à Malice, le nèg
créole. Selon Price-Mars,
Bouqui représente une certaine force
faite de patience, de résignation et
d´inintelligence qu´on trouve dans les masses de nos paysans
campagnards. Tandis que Malice est le porte-parole de nos doléances, de nos
amertumes et de nos habitudes d´assimilation.
Il y a ainsi, dans la perspective de
Price-Mars, toute une psychologie de l´haïtien qui se dégage de ces deux
personnages. Bien que le comique et la
satire sont dominantes dans les contes et sont plus expressives de l´âme
haïtienne, Price-Mars met en valeur l´Oncle, ce qui serait conforme au dessein
de son livre, celui de valoriser la culture africaine/bossale. La première
partie présente une défense et illustration du folklore haïtien et la deuxième
une étude
d´ethnographie comparée du vodou et de
l´Afrique. L´Oncle n´ignorait
pas que la valorisation de la “culture haïtienne” devait passer par la
réhabilitation de l´Afrique.
Dans ce sens, il fallait un détour-retour Haïti-Afrique-Haïti - pour mener le
débat sur la nation haïtienne. Le refus de l´Afrique et de la négritude serait
à l´origine du bovarysme culturel des haïtiens .
Ecoutons Price-Mars,
A la rigueur, l'homme le plus distingué de ce pays aimerait
mieux qu'on lui trouve quelque ressemblance avec un Esquimau, un Samoyède ou un
Toungouze plutôt que de lui rappeler son ascendance guinéenne ou soudanaise.
Le dessein de désigner un complexe
psychologique donnant à la communauté une physionomie spécifique se trouve
également chez Mario de Andrade. Malice se caractériserait par ses
"habitudes d´assimilation", par le bovarysme collectif qui consiste à se concevoir autre que la
collectivité ne l´est pas, dans le cas d´Haïti, à se croire "français
coloré". Il nous semble donc que Bouqui et Malice representeraient
respectivement l´haïtien de l´élite et
Bouki, l´haïtien de la campagne, le
paysan. Mario également trouve dans un personnage du folclore des symptômes du
caractère du "brésilien", encore en formation. Cette
"coïncidence" s´explique naturellement par l´influence de la
psychologie sur les sciences sociales, fortemente influencées par le darwinisme
social et l´évolutionnisme. Dans
le folclore, ils trouvent des traits psychologiques constitutifs du peuple et de
la culture. Chez Mário de Andrade, le Brésil a produit une race et une culture
métisse; chez Price-Mars la "négritude" est le trait du visage
haïtien.
L´Oncle et Mário de Andrade ouvrent deux
perspectives concernant la relation entre ethnographie et littérature :
celle de l´écrivain-savant et celle du savant-écrivain. Tous les deux accordant
au folklore un rôle déterminant dans la construction de la nation par la
création d´une culture et d´une littérature nationales. Pour Price-Mars, le
folklore serait l´âme haïtienne, le moi collectif, l´unité
spirituelle du peuple, le miroir où
se reflète le visage inquiet de la nation. Il trouve dans le folklore, chez
Bouqui et Malice, un visage, une âme, un moi collectifs et ses tendances psychologiques. Mário trouve
également dans le personnage du folclore indien une entité psychique
symptomatique du peuple brésilien, perçu comme multiple, ambigüe,
disparate, difficile à en cerner une entité dont les contours soient définis.
Dans Ainsi parla l´Oncle, à part
le premier et l´avant-derniers essais sur le folklore et la littérature, les
autres essais d´ethnographie comparée sont consacrés à la défense et
illustration de l´Afrique. Lié à des intellectuels de la diaspora africaine, à
la Société africaine de culture;
professeur d´Africologie, Price-Mars inscrit son oeuvre dans les courants du PanAfricanisme et de la Harlem Renaissance, mouvements
intellectuels et poétiques de combat contre le racisme et de valorisation de
l´homme et de la culture noirs. L´ouvrage de Price-Mars est écrite aux années
20 Haïti, durant l´Ocupation américaine, ce qui a fait éclore une conscience
nationale et des mouvements de résistance. À ce moment-là la conscience de la
scission d´Haïti, du racisme, de l´exclusion de la population noire sont mis
sous une nouvelle lumière. Price-Mars en sera le fustigateur. Selon lui, Haïti
était un pays nègre qui devait
s´assumer comme nègre, condition sine
qua non pour survivre et participer activement dans le concert des nations;
pour créer une littérature originale, voire la nation elle-même. Aux temps
forts du racisme, l´artillerie de l´Oncle vise la négation de l´Africain, du Noir ou du Nègre.
L´Oncle visait également le partage d´Haïti, dont parleront plus tard Gérard
Barthélemy dans Le Pays en dehors et
Jean Casimir, dans La Culture opprimée.
La question qui semble sous-entendre son oeuvre concerne l´incorporation de la
population paysanne et noire dans le projet de nation. Valoriser Bouqui,
l´éclairer, l´éduquer. Telle devrait être la « vocation de l´élite ».
Ainsi parla l´Oncle est un ouvrage d´un homme
conscient d´appartenir à une élite ayant
une vocation [La Vocation de l´élite,
1919], celle d´éduquer, d´éclairer,
voire civiliser les masses. Price-Mars personnifie la figure de l´autorité morale et de l´intellectuel
éclairé. Au niveau de l´énonciation, il y a le Nous du discours scientifique,
du savant qui prend constamment le relais du
Nous de l´élite à laquelle il s´adresse maintes fois et à laquelle il
s´identifie. Lorsqu´il s´assimile à l´élite, en faisant appel à sa mission, il
cherche à créer le sentiment d´appartenir à une “élite élue”, appelée à jouer
un rôle civilisateur et à colmater la
division de la société haïtienne. Par le biais de la science et de l´art, le « savoir du peuple »
haïtien pourrait être incorporé à la pensée et à la création, au développement
historique et de l´humanité. Ce qui nous fait penser à Aimé Césaire dont
l´oeuvre est une longue refléxion sur le rôle du Noir dans le monde moderne.
Pour Césaire la culture et l´art seraient les "armes miraculeuses"
dont disposaient l´homme noir. La Négritude de Césaire ne se renferme pas dans
un contre-racisme, selon la dialectique de Sartre, ou dans une essence raciale,
mais elle opère des connexions poétiques, politiques, historiques et
culturelles. Elle se greffe à l´Histoire, à la Culture, à l´Art et à la
Politique. Ceci dit, nous considérons donc que l´ouvrage de Price-Mars
s´inscrit dans le large mouvement d´affranchissement subjectif, intellectuel,
artistique et littéraire des Noirs.
Au Brésil des années 20, le
"mesticismo" (défense du métis au détriment du noir et de l´indien)
prend le relais de la "branquitude". L´idée que les bases culturelles
du pays se fondaient sur l´héritage des trois races résultant dans une nouvelle
et syncrétique culture brésilienne était ce qui soutenait le modernisme de
Mário de Andrade (BROOKSHAW, 1983:54), repris postérieurement par Gilberto
Freyre et Darcy Ribeiro. Les théories racistas qui voyaient dans le noir et
l´indien des éléments à être supprimés naturellement (puisque races dégénérées)
et la politique d´État de "blanchissement" de la population
brésilienne par l´immigration europpéenne, entamée à la fin du XIXème siècle,
sont contrecarrées par une nouvelle tendance, celle du "mesticismo".
Mário de Andrade est à l´origine de la construction
Mário de Andrade appartenait à une ville
en plein essor avec la richesse produite par le café, et à un milieu
intellectuel en ébullition en contact avec tout ce qui se passait en Europe.
Les avant-gardes faisaient écho dans une ville en pleine modernisation qui
devenait une metrópole, centre de l'aventure modernisante et modernisatrice et
scène d'une importante “révolution culturelle”. Mario de Andrade et Oswald de
Andrade (sans parenté, malgré leur nom de famille) en sont les metteurs en
scène et les acteurs de mouvement dont les objectifs étaient ceux de rompre
avec le carcan des formes de pensée et de formes artistiques et littéraires
traditionnelles; de se mettre au pas de la modernité en créant une révolution
esthétique et culturelle. Le droit permanent à la recherche
esthétique était le crédo des avants-gardes qui préconisaient la rupture avec
la tradition et la création du nouveau. Ce crédo de l'avant-garde, Mário
s´en est approprié pour actualiser
l'intelligence artistique brésilienne et créer une conscience créatrice
nationale. L´Anthropophagie fonderait
un nouveau rapport des écrivains et
intellectuels avec ce qui est de chez nous et ce qui est étranger. Se
reportant au rituel de l'anthropophagie chez les Tupinambás, Oswald de Andrade
instaure la "dévoration de l'autre", sa déglutition à l´origine de la
culture brésilienne. Comme métaphore, l´anthropophagie est la dévoration, la
déglutition et l´incorporation des éléments étrangers qui peuvent servir à l´aventure
d´invention du peuple et de la culture brésilienne.
Critique de la culture bourgeoise
d´imitation de l´Europe, Mário de Andrade se tourne vers la tradition
populaire. L´homme de la ville, de la civilisation va vers la Fôret, vers le Sertão puiser des histoires et un
nouveau langage [uma fala brasileira].
Le “touriste apprenti” (titre de son journal et de ses carnets de voyages) va à
la recherche du Brésil profond pour l´incorporer au Brésil moderne.
L´opposition Europe x Amérique, Civilisation x Barbarie, Culture x Nature (le
noir et l´amériendien étaient des êtres associés à la Nature), présente dans
l´épistémologie du temps, est mise en échec. Le sentiment d´habiter un espace divers, multiple
épousait l´idée d´un homme multiple. Mário de Andrade se sentait comme un homme
de trois races encore en processus de formation, comme Macunaíma dont les traits physiques, psychologiques et moraux sont
inachevés.
Le récit de Macunaíma raconte la vie du
personnage depuis sa naissance jusqu´à sa dernière métamorphose, par laquelle
il devient étoile. Tout au long de ses voyages à travers le Brésil, notre héros
subit des métamorphoses. De la Fôret, où il est né, à la ville de São Paulo, en
passant par plusieurs régions du pays, il change et rassemble des traits qui
traduisent une identité instable et multiple. Cependant, certains traits le
définissent: la paresse, la débrouillardise/la ruse, la tromperie, le sexe.
Ecoutons Mário de Andrade,
L´intérêt
pour Macunaima a été la préoccupation qui occupe mon esprit, celle de
travailler et de découvrir autant que possible sur l´entité nationale des brésiliens. Or, après
maintes réfléxions j´ai vérifié une chose qui me paraît certaine: le brésilien
n´a pas de caractère. [...] Par caractère je ne définis pas seulement une
réalité morale, mais une entité psychique permanente se manifestant dans tout,
dans les coutumes, dans l´action extérieure, le sentiment, la langue,
l´Histoire, la façon de marcher, dans le bien et dans le mal. Le brésilien n´a
pas de caractère parce qu´il ne possède pas de civilisation propre ni
conscience traditionnelle.
Les
français ont un caractère, les yorubas et les mexicains en ont également. Soit
parce qu´ils ont une civilisation propre, soit à cause d´un danger imminent,
soit parce qu´une conscience séculaire y
contribuant, ces peuples ont un caractère. Le Bréslien n´en a pas. Il
est comme un jeune garçon de 20 ans: on peut à peine percevoir des tendances
générales, mais il est encore tôt pour affirmer quoi que ce soit. [...] Pendant
que réfléchissais à ces choses, je me suis trouvé face à face avec Macunaima de
l´allemand Koch-Grünberg. Et Macunamima est un héros étonnement sans caractère.
J´ai joui.
(http://www.passeidireto.com/arquivo/1198920/macunaima-o-heroi
sem-nenhum-carater-mario-de-andrade/33)
En
écrivant Macunaíma, le héros sans caractère le projet de
Mário a été celui de concevoir littérairement le Brésil comme une entité
propre, celui d´obtenir un concept ethnique national et
géographique du Brésil. Selon
l´écrivain, son livre ne devrait pas être vu comme une expression de la
culture nationale brésilienne mais comme un symptôme
de cette culture. Les traits de son héros sans caractère, sorti tout droit
des mythes et des légendes serait un symptôme du brésilien, un type disparate,
encore en formation. Livre que
l´auteur lui-même a hésite à définir le genre, Macunaíma est écrit avec des matériaux retirés du folklore
brésilien [amérindien et africain surtout): des mythes, des légendes, des
contes et des proverbes fondus et incorporés anthropophagiquement à son texte.
Quant au genre du “Roman”, l´auteur le définit d´abord comme “histoire” en
l´approchant des contes populaires, et ensuite comme une rhapsodie, fragments
de folklore dont le travail du romancier a été celui de les rassembler, de les
accorder, de les orchestrer tel un rhapsode. Dans le sens grec, la rhapsodie
est composée par des fragments de poèmes épiques chantés par des rhapsodes.
Elle est également définie par les dictionnaires comme une composition musicale basée sur l´improvisation et inspirée de la
tradition populaire. Comme les rhapsodies musicales, Macunaíma présente une variété de motifs populaires.
L'intérêt de Mário pour la musique et
pour la musique populaire, de par sa formation et son début de carrière de
musicien interrompue, sera incorporé à la fabrication de Macunaíma. Je dis fabrication dans le sens du concept de bricolage de Claude Lévy-Strauss,
l´ethnologue français côtoyé par Mário de Andrade lorsqu´il est venu au Brésil
enseigner à l´Université de São Paulo (USP) et faire des recherches parmi les
tribus indigènes. Quant au style, il se caractériserait par une sorte de
"rhapsodisme populaire”, par une exploitation de la parole et de la
musique. Ecrit dans un langage qui cherchait à recréer le langage écrit et
parlé au Brésil, Mário de Andrade emprunte au vocabulaire, à la syntaxe et à la
prosodie des langues indigènes et du parler brésilien encore en formation.
L´utilisation de répétions, le style poétique des vieilles narratives héroïques
fond l´oralité dans une nouvelle écriture littéraire. Définit par l´auteur, non sans ironie, comme un poème facile à écrire et comme une
anthologie du folklore brésilien.
Le récit de Macunaíma finit par un Epilogue où un narrateur
extra-diégétique [l´homme], serait-ce l´auteur, dit avoir raconté cette
histoire qu´un perroquet lui avait raconté . Celui-ci préservait de l´oubli les
histoires et la langue disparue de la tribu disparue. Macunaíma sort de la
tradition orale, envahit l´espace de la fiction et de l´écriture, pour à la fin
du récit, revenir à la nuit du mythe et de la légende, comme une étoile à
nourrir et guider l´imaginaires des hommes. Voilà qu´il revient
au mythe.
En fait, tous
les mouvements intellectuels, artistiques et littéraires des années 20, en
Amérique latine et aux Caraïbes, par marqués par le nationalisme, ont conçu
l´inclusion du noir et de l´amérindien
par la voie de la culture, de
l´imaginaire. D´après Mario Vargas Lhosa affirme, au sujet de la
littérature indigéniste en Amérique latine, notamment au Pérou, que La
fiction reemplazó a la ciencia como instrumento de descripción de la vida
social y nuestros profesores de realidad fueron esos soñadores: los literários
(Utopía arcaica, p.20). Macunaíma peut être lu comme un roman, un conte,
commme un livre de formation du peuple brésilien ou encore comme um livre de
folklore brésilien. Inspiré par les voyages ethnographiques au Nord et au
Nordeste du "touriste apprenti", le livre résulte d´un projet
littéraire et intellectuel. Dans ce sens, Macunaíma devient un classique
de la littérature brésilienne mais également un classique d´interprétation du
pays. Il introduit un élément dans la compréhension du Brésil et du peuple
brésilien : celui du métissage, repris plus tard par le sociologue
Gilberto Freyre dans Maîtres et Esclaves
(1936) et par
l´anthropologue Darcy Ribeiro dans Le Peuple brésilien. En 1968, Macunaima
sera repris dans une adaptation pour le cinéma, dans le cadre du mouvement tropicalista,
A Tropicália, mené par Caetano Veloso et Gilberto Gil, et du Cinema
Novo de Glauber Rocha dans le contexte des années 60.
La
vague avant-gardiste déferlée surtout à São Paulo dans la Semaine de 22 sera,
par la suite relayée par des mouvements régionalistes dont l´expression majeure
est le "roman de 30". Celui-ci peut être rapproché du roman
indigéniste haïtien des années 30-40 par l´approche du monde rural et par la
visée sociale et nationaliste (JONASSAINT, 2002; PRICE-MARS,1959; BROOKSHAW,
1983). Le Modernisme, circonscrit surtout à la ville de São Paulo, cherchait à
marier l´Europe, l´Amérique
et l´Afrique, les avant-gardes européennes et la culture populaire (le
folklore); la ville et la forêt; le Brésil civilisé des élites blanches et le
Brésil “primitif” des amérindiens et des noirs. À côté des Mouvements
Moderniste et Anthropophage, de tendance avant-gardiste et nationaliste; il
y a eu le mouvement Verde-Amarelo, devenu le
groupe Anta en 1926, de tendance
nationaliste de droite;il aboutira, aux années 30, au mouvement politique
de l´Integralisme, de tendance fasciste.
Le
paysage scientifique des années 20 est dominé par le positivisme et le
darwinisme social ou évolutioniste, représentée
notamment par Osvaldo Viana, dans un contexte politique dominé par le
projet national. Les théories sociales, même les plus progressistes, portent
l´empreinte du racisme. La notion de race est au coeur du débat sur la nation,
bien que le concept de culture et de géographie font apparition sous
l´influence de l´anthropoloque Franz Boas. L´Etat brésilien et la
bourgeoisie voient dans l´héritage esclavagiste un obstacle à la construction
de la nation moderne. Le Noir ou l´Africain étant associés à la Nature, donc au
primitivisme, à l´absence de civilisation, l´immigration des européens en vue
du blanchissement du peuple brésilien ou de l´assimilation de Noirs serait la
"solution" adoptée par l´Etat. La population blanche serait censée
"absorber" la population noir de sorte que, dans un futur, le Brésil
deviendrait une nation blanche.
Contrecarrant
le discours de la "blanchitude", se développe le discours du "mesticismo"
parmi les intellectuels et écrivains. Le mulâtre, perçu avant comme une
dégénérescence de la race blanche, est perçu désormais comme une amélioration
de la race noire par l´assimilation des ses traits. Le métissage passe en
principe du pôle négatif au pôle positif. Pourquoi, il s´agit toujours d´éliminer le Noir.
Toutefois, l´éloge du métissage et du
"mesticismo" (du Métis), est, aux années 20, incorporée à la
production littéraire et intellectuelle et, par la suite, devient également une
idéologie d´Etat. Sur le plan littéraire et intellectuel, Mario de Andrade en
est un précurseur. Le "mesticismo" chez ce folcloriste et écrivain
est le visage du Brésil. Constitué de trois races en processus de amalgame, le
peuple brésilien recèlerait des potentialités révolutionnaires. Ses traits
négatifs (la paresse, la sensualité, la ruse, la débrouillardise) devenaient,
sous l´influence des avant-gardes européennes, positifs. Macunaima, "le
héros de nos gens" est le symptôme
du processus d´amalgame de
"trois tristes races". Dans ce processus se trouve la
possibilité d´une nouvelle
culture authentique, d´une culture brésilienne.
L´éloge
du métis chez Mario s´inscrit dans un cadre plus large, celui de la valorisation
du Primitivisme par les mouvements artistiques et littéraires des années 20 en
Europe. Le primitivisme est revendiqué par les artistes et intellectuels
américains et caribéens; tout comme la Négritude revendiquera le mot Nègre.
L´opposition Europe x Amérique se traduisant par l´oposition entre Civilisation
et Primitivisme, les mouvements indigénistes et modernistes ont simplement
renversé les pôles positif et négatif. La valorisation du Noir et du Métis,
c´est la valorisation de l´intuition, de la spiritualité, de la sensualité par
opposition à la raison et le matérialisme de la civilisation blache. Songeons à
la fameuse équation de Léopold Senghor sur l´intuition nègre et la raison
héllène qui traduit bien la permanence du modèle européen dans la pensée de
l´époque. L´influence de
Spengler et sa thèse de la décadence de l´Occident nourrira le Primitivisme qui
voyait dans l´Afrique et l´Amérique des sources du Nouveau par opposition à la
vieille Europe. Souvent l´éloge du Primitivisme était teinté d´Exotisme, cette "façon
gentil" de ramener l´altérité au même. Quant à l´Etat (brésilien) il fera
de l´éloge du "mesticismo" et du métissage l´idéologie de la
démocratie raciale au Brésil, refoulant ainsi le racisme de la société
brésilienne.
Dans
notre perspective, les parcours de Mário de Andrade et de Price-Mars se
rejoignent à plusieurs égards. D´abord, chez les deux l´ethnographie sera mise
au service d´un projet de nation. Celle-ci étant envisagée du point de vue
racial e culturel. Pour Mario, il s´agissait d´une fondation par la formation
du peuple brésilien et la création d´une culture nationale, vu que le Brésil
"n´avait pas de tradition, pas de civilisation, pas de peuple". Pour
Price-Mars, il s´agissait d´une refondation. L´Occupation américaine déclenche
une réaction nationaliste et une conscience aigüe de la division du pays
produite par le bovarysme culturel de l´élite et l´exlusion de masses
paysannes de la citoyenneté. Pour Price-Mars, la valorisation du folclore
permettrait une refondation de la société haïtienne. Pour Mario, le folclore
tiendrait la place d´une tradition. Pour tous les deux c´était par le folclore qu´une culture
et une littératures nationales pourraient venir à jour. Ce qui les distingue,
c´est la question de la langue. Mário a cherché à "décoloniser" la
langue portugaise et à créer une langue nationale par l´incorporation des
parlers régionales et par le rythme de la musique "folclorique".
L´Oncle, bien que faisant référence au créole, ne cherche pas à le promouvoir,
son intérêt portant surtout sur la religion vaudou.
La
visée de Price-Mars est plutôt politique et élitiste - l´Oncle comme La vocation de l´élite (1919)
fait appel à l´élite haïtienne pour qu´elle s´engage dans la voie civilisatrice
- tandis que celle de Mário culturelle. Price-Mars essaie par le discours
scientifique à prouver à l´élite (qui refuse "l´africanité" d´Haïti)
que l´Afrique a une civilisation. Mário, quant à lui, inaugure l´interprétation
de la nation brésilienne comme métisse mais en devenir. Le mérite de Mário est
celui de penser le peuple et la culture comme un processus ouvert. Le folclore
prendrait la place de la traditon à être renouvellée. Au contraire, Price-Mars
voit dans le folclore l´âme,l´esprit du peuple et de la nation dans une
interprétation plutôt essentialiste. Finalement, l´oeuvre de tous les deux
appartiennent à ce large mouvement intellectuel, artistique et littéraire qui,
aux années 20 et 30, en Amérique latine et aux Caraïbes, ont contribué à la
constitution de la nation dans une perspective imaginaire. L´intelligentsia
n´était pas préoccupée avec la situation de misère dans laquelle vivait les
populations noire et amériendienne: le Noir et l´Indien étaient plutôt des
symboles de lutte contre l´intellectualisme de leur culture et les valeurs
sociales de la classe bourgeoise dominante.
Bibliographie
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Caráter. Edição coordenada por Telê Porto Ancona sob os
auspícios da UNESCO, 1988.3.
______ . O
Turista aprendiz. São Paulo: Livraria Duas Cidades, 198.
BROOKSHAW,
David. Raça e cor na literatura
brasileira. Porto Alegre: Mercado Aberto, 1983.
CERTEAU. Michel
de. L´Ecriture de l´histoire. Paris: Gallimard, 1975.
JONASSAINT, Jean. Des romans de
tradition haïtienne. Sur un récit tragique. France/Canada:
L´Harmattan/Cidihca, 2002.
LÉVI-STRAUSS, Claude. Tristes tropiques. Paris: Plon, 1955.
LOPES, Telê Porto Ancona. Macunaíma:
a margem e o texto. São Paulo: Hucitec, 1974.
PRICE-MARS, Jean. Ainsi Parla l´Oncle suivi de
Revisiter l´Oncle. Montréal: Mémoire d´encrier, 2009.
_______
De Saint Domingue à Haïti: Essai sur la culture, les arts et la littérature.
Paris: Présence Africaine, 1959
PROENÇA
CAVALCANTI, M. Roteiro de Macunaíma.
Rio de Janeiro: Civilização Brasileira, 1977.
Toffin Gérard. Écriture romanesque et écriture de
l'ethnologie. In: L'Homme, 1989,
tome 29 n°111-112. Littérature et anthropologie. pp. 34-49.http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439
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VARGAS LHOSA,
Mário. Utopia Arcaica. México: Terra
Firme/Fondo de Cultura Económica, 1996.
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